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Les cours criminelles départementales sont-elles conformes à la Constitution ?

cours criminelles departementales

Cons. Constit., 24 novembre 2023, n°2023-1069/1070 QPC, Cours criminelles départementales.

 Dans une décision QPC du 24 novembre 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions relatives aux cours criminelles départementales.

 

Les cours criminelles départementales

 Créées à titre expérimental en 2019, les cours criminelles départementales ont été généralisées depuis le 1er janvier 2023.

Elles sont compétentes pour juger les personnes majeures accusées d’un crime puni de 15 ou 20 ans de réclusion, qui ne sont pas en état de récidive légale. Pour les autres crimes, les cours d’assises demeurent compétentes.

Les cours criminelles départementales sont composées de cinq magistrats professionnels : un président et quatre assesseurs. Ainsi, contrairement aux cours d’assises, les cours criminelles départementales ne comportent pas de jury populaire.

Deux raisons principales ont motivé la création de ces cours criminelles départementales.

D’une part, la volonté de réduire les délais de jugement en supprimant les lourdeurs organisationnelles des cours d’assises.

D’autre part, la volonté de lutter contre la correctionnalisation des affaires : la lourdeur et la durée de la procédure devant les cours d’assises a pu, en effet, amener le ministère public à préférer une procédure correctionnelle afin que le procès intervienne rapidement.

 

Les griefs des requérants

En l’occurrence, les requérants estiment, tout d’abord, que ces cours criminelles départementales méconnaitraient le principe fondamental reconnu par les lois de la république (PFRLR) selon lequel il appartient à un jury populaire de juger les crimes de droit commun – PFRLR qu’il est demandé au Conseil constitutionnel de reconnaître.

Ensuite, ils considèrent que les règles de compétence applicables à ces cours créent une différence de traitement injustifiée entre les accusés, contraire au principe d’égalité devant la loi.

 

Rappels sur le jury populaire

Jusqu’à l’expérimentation de 2019, tous les crimes étaient jugés par des cours d’assises composées de trois magistrats professionnels et de six jurés, des citoyens tirés au sort sur les listes électorales.

Ces jurys populaires sont un héritage direct de la Révolution de 1789. Leur création visait à intégrer les citoyens à la justice qui, sous l’ancien régime, était la prérogative du roi. Puisque la justice était désormais rendue « au nom du peuple français », la participation de ce peuple à l’œuvre de justice semblait une évidence.

Alexis de Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique, défendait ainsi le jury qui « sert à donner à l’esprit de tous les citoyens une partie des habitudes de l’esprit du juge ; et ses habitudes sont précisément celles qui préparent le mieux le peuple à être libre ».

Reste que la présence de ces jurys populaires fait débat.

D’un côté, ceux qui le défendent et tiennent au maintien de cette forme de démocratie directe au sein de l’institution judiciaire.

Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, le 3 novembre 2022, un collectif composé de personnalités de la justice, de spécialistes et d’élus, dénonçait ainsi la suppression des jurys populaires qui, selon lui, porterait atteinte à trois valeurs cardinales : la liberté, l’humanité et la citoyenneté.

De l’autre, ceux qui le contestent. Outre les difficultés organisationnelles liées aux jurys, certains s’inquiètent de cette « justice des citoyens » souvent profanes en matière juridique et enclins à suivre leurs émotions plutôt que la raison.

La question de la domination morale qu’exerceraient les magistrats professionnels sur les jurés est également régulièrement soulignée.

 

La reconnaissance d’un PFRLR 

Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République sont mentionnés dans le Préambule de la Constitution de 1946 sans y être énumérés. Il appartient donc au Conseil constitutionnel de déterminer les principes inclus dans cette catégorie.

Pour ce faire, le Conseil constitutionnel retient cinq critères : le principe doit être inscrit dans une source législative (1) républicaine (2) et antérieure à la Constitution de 1946 (3). Il doit également être fondamental (4) et être d’application continue (5).

En l’occurrence, le Conseil constitutionnel relève deux points.

En premier lieu, il admet que dans leur très grande majorité, les textes pris en matière de procédure pénale dans la législation républicaine antérieure à 1946 comportent des dispositions prévoyant l’intervention d’un jury populaire pour juger les crimes.

Néanmoins, certaines lois ont aussi écarté ce principe, de sorte qu’il n’est manifestement pas d’application continue.

En second lieu, il estime que ces lois n’ont pas eu ni pour objet ni pour effet de réserver spécifiquement à une juridiction composée d’un jury le jugement des crimes. L’intervention du jury ne serait donc pas considérée comme un principe fondamental.

En conséquence, le Conseil constitutionnel refuse d’ériger au rang de PFRLR la présence d’un jury populaire pour juger des crimes.

 

Le principe d’égalité devant la loi

 Pour les requérants, les dispositions relatives aux cours criminelles départementales méconnaitraient le principe d’égalité devant la loi à deux titres.

En premier lieu, elles institueraient une différence de traitement injustifiée entre les personnes accusées d’un crime qui peuvent, selon le quantum de la peine encourue, être renvoyés soit devant une cour d’assises, soit devant une cour criminelle départementale.

En second lieu, elles créeraient également une différence de traitement injustifiée, dès lors que les règles de majorité, tant pour la déclaration de culpabilité que la détermination de la peine, seraient moins favorables aux accusés devant les cours criminelles départementales.

Devant les cours d’assises, de fait, un accusé ne peut être déclaré coupable qu’à la majorité qualifiée de sept voix au moins sur les neuf qui s’expriment. Quant à la détermination de la peine, elle requiert la majorité absolue – soit cinq voix. Toutefois, le maximum de la peine encourue ne peut être prononcé qu’à la majorité de sept voix au moins.

En revanche, devant les cours criminelles départementales, toutes les décisions sont prises à la majorité – soit trois voix sur cinq.

Le principe d’égalité devant la loi est, notamment, fondé sur l’article 6 de la DDHC selon lequel la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

Ce principe n’est toutefois pas absolu. Le Conseil constitutionnel admet, de jurisprudence constante, que le législateur puisse régler « de façon différente, des situations différentes », à la condition toutefois que cette différence de traitement ne soit pas fondée sur un motif discriminatoire (CC, 9 avril 1996, n°96-375 DC, Loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier).

Lorsque la loi porte sur des questions procédurales, le Conseil constitutionnel n’hésite pas à combiner le principe d’égalité et les droits de la défense.

Il estime ainsi que « si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales » (voir, déjà en ce sens, CC, 22 octobre 2009, n°2009-590 DC, HADOPI 2).

Le principe d’égalité vient alors renforcer les droits de la défense, en assurant que toute personne bénéficie de garanties égales.

En l’occurrence, le Conseil constitutionnel vérifie donc deux points.

D’une part, que la différence de traitement instituée par la loi ne repose pas sur un critère discriminatoire.

D’autre part, qu’en dépit de cette différence de traitement, toutes les personnes accusées bénéficient de garanties égales.

Sur le premier point, pour décider si une personne doit être renvoyée devant une cour criminelle départementale ou une cour d’assises, le principal critère fixé par la loi tient à la nature des faits qui lui sont reprochés.

Pour le Conseil constitutionnel, ce critère est suffisamment objectif et ne révèle aucune discrimination.

Sur le second point, il est vrai que les accusés ne sont pas soumis exactement aux mêmes règles procédurales selon la cour devant laquelle ils sont renvoyés. Toutefois, la seule différence tient à la présence ou non d’un jury ; les autres règles procédurales, en revanche, sont identiques.

Par ailleurs, pour le Conseil constitutionnel, les cours criminelles départementales offrent les mêmes garanties d’indépendance et d’impartialité que les cours d’assises.

Il considère, en conséquence, que les accusés bénéficient de garanties équivalentes.

 

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