
sur votre inscription à la formation Estivale e-learning 2025
J’en profitesur votre inscription à la formation Estivale e-learning 2025
J’en profiteEn 2018, des manifestants, pour alerter sur les conditions d’accueil des personnes en situation de handicap dans les transports, pénètrent dans des lieux en principe interdits au public et bloquent la circulation de trains et d’avions.
Poursuivis des chefs d’entrave à la mise en marche ou à la circulation de trains ou d’aéronefs, ils encouraient une peine de six mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende (pour le blocage des trains) et de cinq ans d’emprisonnement et 18 000 euros d’amende (pour le blocage des avions).
Certains sont condamnés à des peines d’amende avec sursis total ou partiel et forment un pourvoi en cassation.
Ils estiment, notamment, que ces condamnations porteraient une atteinte excessive à leur liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la CESDH.
Au-delà de cette affaire en particulier, la question qui se pose ici est celle de savoir si on peut, au nom des droits et libertés fondamentaux, échapper à toute condamnation alors même que le comportement que l’on a adopté est constitutif d’une infraction.
Pour le dire autrement : la violation des droits fondamentaux et, en particulier, de la liberté d’expression est-il un moyen de défense recevable et pertinent pour neutraliser toute répression pénale ?
Par cet arrêt, la Cour de cassation confirme que, lorsqu’elle porte une atteinte disproportionnée à des droits ou libertés fondamentaux, la loi pénale doit être écartée.
Chacun connaît l’adage « dura lex, sed lex » (la loi est dure mais c’est la loi). Il renvoie à l’idée que la loi doit prévaloir en toute circonstance et que rien ne peut justifier qu’on l’écarte même lorsque son application se révèle brutale.
Cet adage ne reçoit, toutefois, pas l’application systématique que l’on pourrait croire.
De fait, depuis quelques années, sous l’influence de la CEDH, les juridictions françaises et, en particulier, la Cour de cassation ont introduit en droit français le contrôle de proportionnalité.
Ce contrôle de proportionnalité permet ainsi de contrôler le bien-fondé d’une mesure qui a pour objet ou pour effet de limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux. Autrement dit, il permet de déterminer si l’atteinte portée à une liberté ou un droit fondamental est justifiée.
Plus encore, il permet, parfois, d’écarter l’application de la loi lorsqu’il en résulterait une atteinte disproportionnée à un droit fondamental.
Tel peut être le cas en matière civile.
Pour des exemples récents : Cass. Civ. 3e, 6 juillet 2023, n°22-10.884 ou encore Cass. Civ. 2e, 4 avril 2024 n°22-15.457.
Tel peut être également et surtout le cas en matière pénale.
On peut songer notamment à l’affaire des FEMEN – CEDH, 13 octobre 2022, Bouton c. France : une militante FEMEN avait été condamnée à une peine d’emprisonnement avec sursis pour exhibition sexuelle après d’être dénudée dans une église. La CEDH condamne la France, reprochant aux juridictions nationales de ne pas avoir tenu compte de la démarche militante et politique de la requérante. Ainsi, la condamnation prononcée porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression de la requérante.
De même, on peut songer aux affaires des « décrocheurs de portraits » – Cass. Crim., 22 septembre 2021, n°20-85.434 : des militants écologistes avaient été condamnés pour s’être introduits dans des mairie et y avoir décroché le portait du Président Macron. Pour la Cour de cassation, les juges du fond ne peuvent entrer en voie de condamnation sans avoir vérifié, au préalable, si l’incrimination pénale ne constitue pas, dans le cas d’espèce, une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression.
On peut encore citer, la condamnation d’un militant pour injure publique (il avait qualifié le maire en exercice de « raciste ») alors que ses propos s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général en période électorale (Cass. Crim., 10 septembre 2024, n° 23-83.666). De même, s’agissant de la condamnation pour diffamation d’une femme ayant fait connaître publiquement des faits d’agression sexuelle sans preuves suffisantes à établir la bonne foi de ses accusations (CEDH, 9 janvier 2024, Allée c. France). Dans ces deux affaires, il a été jugé que les condamnations prononcées portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.
Ces solutions sont parfois critiquées. Deux arguments principaux sont avancés.
D’abord, le fait qu’en principe, en matière pénale, le mobile de l’auteur des faits est indifférent. Autrement dit, si l’infraction a été commise, son auteur doit être reconnu coupable, quelles que soient les raisons pour lesquelles il a agi ainsi. Les mobiles ne devraient donc intervenir qu’au stade du prononcé de la peine (en application du principe d’individualisation de la peine).
Ensuite, l’idée que cette jurisprudence reviendrait à reconnaître aux individus le droit de commettre une infraction dès lors qu’ils la commettent pour exprimer leur opinion.
Ces arguments peuvent toutefois être contredits.
Quant à l’indifférence des mobiles, elle n’est pas systématique. Certaines infractions supposent, au contraire, que les mobiles de leurs auteurs soient identifiés (tel est le cas, par exemple, des infractions terroristes).
Quant à la prétendue liberté de commettre une infraction, elle est loin d’être reconnue. Il ne suffit pas, en effet, d’invoquer sa liberté d’expression pour échapper à toute répression pénale. Encore faut-il que le contrôle de proportionnalité opéré tranche en faveur de l’auteur des faits.
Afin de permettre aux juges de réaliser ce contrôle de proportionnalité, la CEDH et la Cour de cassation se sont employées à dégager des critères concrets.
Au regard de la CESDH, pour qu’une ingérence dans la liberté d’expression soit justifiée, celle-ci doit répondre à trois conditions : être prévue par la loi (1), poursuivre l’un des buts légitimes énumérés à l’article 10§2 de la CESDH (2) et être nécessaire dans une société démocratique (3).
La première condition ne pose pas de problèmes : si un texte incrimine certains comportements, l’ingérence est nécessairement prévue par la loi.
La deuxième condition ne pose généralement pas davantage de difficultés : au titre des buts légitimes énumérés par l’article 10§2 se trouve, en effet, notamment la défense de l’ordre, la prévention du crime ou encore la protection de la réputation ou des droits d’autrui.
Quant à la troisième condition, elle suppose, selon la CEDH, que l’ingérence corresponde à un besoin social impérieux (CEDH, 25 novembre 1996, Wingrove c. RU). L’ensemble de l’affaire doit ainsi être prise en considération pour déterminer si la mesure adoptée était proportionnée au but poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier étaient pertinents et suffisants. A cet égard, elle vérifie si le message porté par le requérant relevait d’un sujet d’intérêt général et tient compte de la nature et la lourdeur des peines infligées.
Dans l’arrêt rapporté, la Cour de cassation juge que, pour opérer ce contrôle de proportionnalité, les juges du fond doivent apprécier un certain nombre de critères :
En l’occurrence, le contrôle opéré fait apparaître plusieurs éléments.
D’un côté :
De l’autre :
Au regard de ces éléments, la Cour de cassation décide que les condamnations prononcées n’ont pas porté une atteinte excessive à la liberté d’expression des manifestants.